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Pierre-Luc L’Hermite – Maux d’ordre : Au sujet de la création d’un ordre en Ostéopathie

À l’heure où, de toute évidence, le rassemblement des ostéopathes semble apparaître comme une nécessité plus qu’essentielle, il conviendrait de s’interroger un instant sur la notion d’ordonnancement que nous souhaitons adopter afin de bénéficier de l’expérience de nos prédécesseurs en la matière.

« Combien d’hommes s’identifient aux modèles que les conventions sociales leur proposent ! » Manuel de Diéguez, philosophe français. Soyons lucides, la totalité des problématiques auxquelles les ostéopathes sont confrontés ne pourront raisonnablement se dissiper uniquement avec la création d’une instance qui suivrait un modèle déjà en déclin. Son histoire en est le parfait reflet.

De la création de l’Ordre

En effet, il faut remonter au 10 mars 1803 pour que l’appellation Docteur en médecine refasse surface, suite à la disparition des universités lors de la Révolution française, afin d’honorer les dignes représentants de ce corps de métier. Puis la loi Chevandier de 1892, instaurant le monopole médical sous la Troisième République, éradique les officiers de santé qui faisaient concurrence aux Docteurs en médecine de l’époque : « L’ampleur des efforts déployés pour arriver à ce résultat explique probablement la violence des réactions que suscite aujourd’hui toute tentative de remise en cause de l’omnivalence du titre » (1). Dans les années 1940, la plupart des professions indépendantes ont adopté un Ordre professionnel. Ceci originellement afin de minimiser l’importance que les syndicats auraient pu avoir dans ce que l’on qualifiait déjà à l’époque de crise. Le mot crise, soit dit en passant, venant du Grec « Krisis » signifiant la fin d’un cycle et par extension, le début d’une nouvelle ère. Les syndicats durent donc entrer en hibernation, ce qui permit de consacrer l’avènement des fameux Ordres. Leurs débuts ne furent pour autant que fort peu glorieux, puisque créés le 7 octobre 1940 par Vichy, et déjà dissous en 1943. Le Général de Gaulle restaura un nouvel Ordre des Médecins (2) pour le « maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l’exercice » (3). Leur code de déontologie n’hésitait pourtant pas à allègrement clamer des idioties, considérant par exemple que le consentement du patient n’est pas une donnée médicale pertinente et qu’il faut donc imposer le traitement aux malades. Dans cette dynamique nous allons voir que les attributions, qui jadis étaient du ressort de l’Ordre, sont de plus en plus évanescentes et que celles qui lui restent conservent tant bien que mal un équilibre précaire.

Des missions de l’Ordre

Les missions dont l’Ordre était initialement chargé, en partie, comprenaient entre autres la permanence des soins (4). Seulement, telle qu’elle est définie à l’article L 6314 du Code de la Santé Publique, elle est sous l’égide du directeur de l’Agence Régionale de Santé (5) qui l’organise et la planifie ; en somme, qui assume pleinement cette mission. Les médecins libéraux sont pourtant intégrés à la gestion de l’offre de soin mais sont relégués par le Schéma Régional d’Organisation des Soins (SROS) à l’élaboration participative du cahier des charges (6). La surveillance du droit des malades elle-même est assurée par les conseils de surveillance (7) des ARS et la Conférence Régionale de la Santé et de l’Autonomie (CRSA) (8). Témoignage supplémentaire de la mise à l’écart de l’Ordre pourtant initialement concerné par cette aspiration. La surveillance au sens large, pilier du système de sécurité sanitaire, ne relève pas non plus de l’Ordre puisque cette mission est attribuée à des institutions telles que l’INPES, l’INVS, l’ANSM, l’ANSES, l’EFS, l’agence de biomédecine, et la liste pourrait encore s’allonger.

De la formation continue

La formation continue des médecins (aujourd’hui Développement Professionnel Continu – DPU) est, depuis la loi du 21 juillet 2009, à la charge de la Haute Autorité de Santé et de la Direction Générale de l’Offre de Soins (9) ainsi que le fruit de subtils arrangements entre syndicats et CNAM (10, 11), là où encore, l’organisation ordinale était théoriquement en charge de sa mise en place. L’accablant conservatisme de l’Ordre se manifestait aussi sur des questions éthiques. Sa farouche opposition à la loi Veil concernant l’avortement (12), du 17 janvier 1975 et définitivement adoptée le 31 décembre 1979, en est l’illustration parfaite. Afin de guider le législateur sur les orientations les plus pertinentes à adopter au sujet des nouveaux enjeux éthiques initiés par l’ouvrage « Bio ethics : Bridge to the future » du cancérologue Américain Potter en 1971, François Mitterrand va instaurer en 1983 le fameux CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique). Ici encore, le conseil de l’Ordre des médecins sera soigneusement tenu à l’écart des comités de réflexion et des propositions formulées par le CCNE. Les lois de bioéthique verront pourtant bien le jour en 1994, 2004 et 2011. Il en va de même pour l’apparition de la Haute Autorité de Santé, des rapports de l’Organisation Mondiale de la Santé (plus ancienne) et de toutes ces institutions créées dans le domaine de la santé, dépossédant petit à petit l’Ordre de ses prétentions initiales. Cet exposé – loin d’être exhaustif – met en évidence à quel point, au fil du temps, le conseil de l’Ordre est institutionnellement dessaisi de ce à quoi il aspirait pourtant de manière originelle.

De l’adhésion à l’Ordre

Le fait que l’adhésion à l’Ordre ait un caractère intangible : « L’ordre national groupe obligatoirement tous les médecins » (13) est un problème dont on ne peut faire l’économie. Il n’est plus à démontrer qu’aujourd’hui les jeunes praticiens ostéopathes peinent à gagner leur vie. Ne parlons même pas de la question d’adhérer à un syndicat. Ils ne se la posent plus du fait des tourments causés par leur situation (14). Demandez à l’Académie d’ostéopathie comment se comportent ses comptes ; brillante institution qui a récemment été contrainte d’envoyer un SOS, représentation de la situation abyssale qui est celle du financement des associations d’ostéopathes. Au cours de l’été 2012, Marisol Touraine avait d’abord déclaré que l’adhésion aux ordres professionnels pourrait devenir non obligatoire, mais face à la colère des représentant ordinaux voyant là encore une atteinte à leur monopole, la ministre a dû rapidement rectifier son propos en précisant que cela serait « facultatif pour les infirmiers ». Pourtant ce monopole est déjà bien ébréché. Rappelons les mots de Maître Isabelle Robard au sujet de la loi du 4 mars 2002 accueillant la consécration de l’ostéopathie : « Pour avoir étudié l’histoire et l’évolution de l’exercice illégal de la médecine depuis la période du Moyen Age jusqu’à nos jours, nous pouvons affirmer que ce sera la première fois qu’une brèche sera portée dans le monopole médical ».

Du rôle de conseil de l’Ordre

Voilà pour les vestiges des responsabilités d’antan allègrement phagocytées. Aujourd’hui, l’Ordre conserve toutefois un rôle de « conseiller » auprès des pouvoirs publics, ainsi que sur son code de déontologie régi par les articles réglementaires R 4127-1 et suivants. La traduction en droit administratif de ce terme signifie que l’Ordre ne peut que suggérer des avis facultatifs, n’ayant donc aucune vertu contraignante. Gilles Devers, avocat au Barreau de Lyon constate solennellement que « le Code de déontologie ne peut apporter que des aménagements marginaux ». C’est encore une fois à titre consultatif qu’il émet des propositions que les instances supérieures acceptent ou non de retenir. Les bribes de son « pouvoir » semblent avoir pris des vacances dans des contrées fort lointaines de l’injonction.

Enfin, l’Ordre se garde théoriquement aussi la possibilité de recevoir et de traiter les doléances de patients à qui l’on a refusé de dispenser des soins ou qui ont reçu des traitements dits « inappropriés » (15). Pour autant, 32 % des médecins refusent les patients ayant la Couverture Maladie Universelle, désinvolture pourtant non autorisée. Prolongeons ainsi le paroxysme d’irréalité en mentionnant tout de même qu’un des membres du conseil de l’Ordre, atteint d’une pathologie psychiatrique d’une particulière gravité pour autant non traitée a su, sans même essayer d’agir avec minutie, se faire élire à l’échelle départementale sans aucune difficulté. Ce qui a soulevé de nombreuses questions quant au mode d’élection basé sur une technique de noms rayés, au dernier restant. Signe supplémentaire d’un amateurisme déconcertant.

De la relation médecin-patient

Ainsi peut-on encore lire que l’Ordre doit « préserver la qualité et la singularité de la relation médecin-patient » (16). Comprenons que l’heure des éventuels arrangements confraternels n’a pas encore complètement cessé. L’exemple supplémentaire illustrant son inefficacité est le nombre très élevé des praticiens appliquant des dépassements d’honoraires abusifs ayant miraculeusement échappé à la vigilance de l’Ordre des médecins (pour qui encore une fois le mot corporatisme a su soigneusement prendre toute sa dimension). Il se manifeste aussi nettement moins dans les sanctions infligées à l’encontre de ces médecins qui pratiquent des tarifs défiant les lois élémentaires de la logique, car dans ces cas-ci l’Ordre brille souvent par sa singulière absence ô combien préjudiciable. C’est sans doute par excès de suspicion que les négociateurs de l’avenant n°8 à la convention médicale de 2012 (17) ont soigneusement écarté les représentants de l’Ordre (18). Et pour cause, ceux-ci ont toujours été farouchement opposés aux nombreuses évolutions financières. Ils étaient, en effet, férocement opposés au conventionnement, arguant une atteinte aux libertés du médecin. Cette revendication date de la charte médicale du 30 novembre 1927 reconnaissant le libre choix de perception d’honoraires par entente avec le malade. Il faudra patienter jusqu’au 26 juillet 2011 avec l’avènement des secteurs 1, 2 et 3. Résultat : 15% des personnes majeures refusent de se soigner car cela leur revient trop cher malgré le conventionnement. Qu’en aurait-il été si ce conventionnement n’avait pu voir le jour… Le sens critique du conseil de l’Ordre est également moins affuté vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques à l’origine de conférences tenues dans des îles paradisiaques, où certains praticiens aimaient venir en famille. Également au sujet des fameux leaders d’opinion longuement décriés dans le récent ouvrage des Professeurs Bernard Debré et Philippe Even (19) eux-mêmes. Enfin de la formation continue biaisée ayant parfois des conséquences dramatiques (cf. affaire récente du Médiator pour ne citer qu’elle), etc. Ce qui ne met que d’avantage en exergue l’essence à peine dissimulée de l’Ordre qui tend à préserver les avantages corporatistes, aujourd’hui largement contestés.

Du respect du principe de légalité

Le paramètre sans doute le plus technique au sujet des Ordres professionnels est qu’ils ne respectent pas toujours le principe de légalité. Les Ordres sont juridiquement des personnes morales de droit privé, là où la juridiction administrative est, par essence, de droit public. Mais ils sont chargés d’exercer une mission de service public. Donc leurs actes unilatéraux, leurs décisions juridictionnelles et leur responsabilité sont susceptibles de recours devant le juge administratif et non le juge judiciaire comme l’énonce l’arrêt du Conseil d’Etat de 1943 Bouguen. La fameuse loi du 4 mars 2002, fut également rendue célèbre car les chambres disciplinaires de l’Ordre des médecins eurent (enfin) à leur tête des magistrats administratifs apportant un peu de clarté dans cette confusion. Toutefois nous manquons encore de distance afin d’évaluer la pertinence de l’autorité du magistrat sur les décisions ordinales. Seulement, les décisions prises par les Ordres hors des juridictions sont des mesures d’ordre intérieur et donc non susceptibles de recours pour excès de pouvoir, elles peuvent de ce fait échapper au contrôle du juge administratif.

Ce qui persiste des occupations des Ordres

En somme, persistent pour les ordres des occupations de « contrôle du libellé des plaques […] changement de qualifications des médecins, suivi des contrats, […] délivrance des autorisations de remplacement » (20). Reste aussi son rôle de médiation lors des conflits entre adhérents d’une association de médecins où il tente de leur éviter un procès effectué, lui par contre, dans des tribunaux de la République. François Mitterrand lui-même avait proposé la suppression de l’Ordre des médecins dans les années 1980. Illustration, selon lui, du conservatisme gênant incompatible avec la conception même de la démocratie, ce que nous avons à de nombreuses reprises mis en évidence dans ce bref aperçu de la situation. N’ignorons pas que la politique européenne tend vers une disparition de ce modèle ordinal.

En guise de conclusion

Pourtant il est incontestablement nécessaire de veiller à la ferme application du code de déontologie des ostéopathes afin d’éviter d’observer passivement toutes les dérives dont chacun a connaissance. L’histoire de l’ostéopathie révèle, depuis 1874 au-moins, tant d’ingéniosité qu’il semble largement possible, malgré ce triste portrait, de penser un système garant du respect des valeurs auxquelles notre profession aspire. Ce système doit néanmoins être lucide et s’inspirer des erreurs du passé afin de préparer la sérénité de notre avenir et panser l’essentiel de nos maux.

Pierre-Luc L’Hermite Ostéopathe D.O., Docteur en Droit

Notes

1. J. Launois Robert. La médecine libérale a-t-elle jamais existé ?. In: Politiques et management public, vol. 3, n° 4, 1985. Numéro spécial – Innovations et régulations dans les systèmes de santé (France – USA) (Numéro préparé par Emile Lévy et Béatrice Majnoni d’Intignano) pp. 87-97 ; doi : https://doi.org/10.3406/pomap.1985.1871https://www.persee.fr/doc/pomap_0758-1726_1985_num_3_4_1871
2. Ordonnance du 24 septembre 1945
3. Article L4121-2 du Code de la Santé Publique
4. Article 77 du Code de Déontologie Médicale
5. Article L 1432-1 du Code de la Santé Publique
6. Article L 1411-11 du Code de la Santé Publique
7. Article L 1432-3 du Code de la Santé Publique
8. Article L 1432-4 du Code de la Santé Publique
9. Article 59 de la loi HPST
10 Caisse Nationale d’Assurance Maladie
11. Philippe Rollandin, Organisation de la santé : le déclin de l’empire ordinal http://pharmanalyses.fr/organisation-de-la-sante-le-declin-de-lempire-ordinal-2/
12. Caroline More Sexualité et contraception vues à travers l’action du Mouvement français pour le Planning familial de 1961 à 1967, accessible à : http://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2004-2-page-75.htm#Cairn_no11
13. Article L 4121-1 du Code de la Santé Publique
14. http://profession-osteopathe.com/etudiants/
15. Article L 1110-5 de Code de la Santé Publique
16. http://www.conseil-national.medecin.fr/qu-est-ce-que-l-ordre-1206
17. Avenant 8 du 26 octobre 2012 de la Convention Médicale 2011. Sous-titre 3 Contrat d’accès aux soins, accessible à (format pdf) : http://www.apima.org/img_bronner/avenant_8_ACS.pdf
18. Philippe Rollandin, Organisation de la santé : le déclin de l’empire ordinal http://pharmanalyses.fr/organisation-de-la-sante-le-declin-de-lempire-ordinal-2/
12. Caroline More Sexualité et contraception vues à travers l’action du Mouvement français pour le Planning familial de 1961 à 1967, accessible à : http://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2004-2-page-75.htm#Cairn_no11
19. EVENE, DEBRE – Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux – 2012
20. http://www.conseil-national.medecin.fr/les-missions-1207

Le Site de l’Ostéopathie remercie Pierre-Luc L’Hermite pour l’avoir autorisé à publier cet article.

Source: https://www.osteopathie-france.fr